La place des femmes dans les professions de l’IT n’a que peu progressé depuis 15 ans, peinant à atteindre la barre des 23% en Europe et du tiers en Amérique du Nord. Ce chiffre est inquiétant pas seulement du fait qu’il soit bas mais de sa stagnation ces dernières années. Cela signifie également que les femmes participent peu à l’élaboration des systèmes numériques qui façonnent pourtant notre société et notre économie.
Au niveau mondial cependant, nous observons des améliorations. Notamment en Amérique latine qui arrive à 40% de main-d’œuvre féminine dans les métiers du TIC (technologies de l’information et de la communication), ainsi qu’au Maghreb ou en Inde, fait intéressant puisque dans ces pays, le taux d’emploi féminin est bien plus faible qu’en Occident. Cela démontrerait-il une volonté d’émancipation, d’indépendance des femmes en se tournant vers des métiers dans lesquels elles auraient un statut plus reconnu ? Cela pourrait être une piste de réponse.
Informatique et stéréotypes de genres
En Europe, les métiers de l’informatique ne font pas rêver les filles. Moins de 1% d’entre elles souhaitent travailler plus tard dans ce secteur, contre 3% à 15 % des garçons. Et l’intérêt des femmes pour les TIC en général continue de diminuer, plus les études sont poussées. Il semblerait que la distinction ne soit pas assez claire entre les métiers du noyau dur de l’informatique, notamment la programmation, et ceux où les compétences en TIC ne constituent pas la composante principale de ces professions. Une meilleure connaissance et orientation dans les différents métiers de ce secteur serait donc un premier axe sur lequel travailler.
L’industrie des TI étant assez jeune, on aurait pu croire qu’elle serait épargnée par les stéréotypes de genre. Mais du côté européen, avec des modèles de famille traditionnels, ces préjugés semblent être plus ancrés et commencent dès le plus jeune âge. L’image de l’informaticien geek travaillant seul devant son écran, aujourd’hui associée au hacker, est toujours bien présente. Un idéal culturellement assez éloigné de l’univers des filles !
Des initiatives pour féminiser les TIC
De plus en plus d’initiatives de la part de professionnels du domaine soutiennent les jeunes filles en les initiant très tôt aux TIC. On peut notamment penser à Girls in Tech, Women in Digital, We Shape Tech, Girls Who Code. En Suisse, il faut noter l’arrivée de l’informatique en tant que branche obligatoire au gymnase depuis l’année scolaire 2022-2023. Ubisoft Montréal, plus grand studio de développement de jeu vidéo au monde, investit pour sa part 1 million de $CAD par an pour encourager les femmes à entrer dans le monde des technos et retravailler sur l’image des jeux, reflet d’une culture masculine.
D’autres points positifs sont à mentionner. Sur Internet, les images représentant des professionnels des TI mettent de plus en plus en avant des femmes. Quant aux offres d’emploi, elles se féminisent et, dans certains cas, y figure de manière claire le principe de l’équité dans le domaine professionnel.
Des conditions de travail pensées pour les femmes
Mais qu’en est-il ensuite de l’expérience des femmes dans les industries des TIC ? De nombreuses études ont permis de dégager les constats suivants : l’articulation du travail et de la vie personnelle peut être plus problématique pour les femmes dans l’IT puisque ces métiers demandent souvent un investissement et une disponibilité difficilement compatibles avec une charge de famille.
Cependant, une plus grande autonomie dans la gestion du temps du travail ainsi que des mesures d’articulation travail-famille qui ne désavantagent pas les femmes ont tout intérêt à être adoptées par les acteurs du milieu se souciant de l’égalité entre les sexes. Effectivement, les périodes de retrait du marché du travail, par exemple lors d’un congé maternité, peuvent vite engendrer une déqualification. Celle-ci est d’autant plus forte dans ce secteur où les technologies changent constamment. Les réinsertions demandent donc des efforts supplémentaires et ont souvent des conséquences négatives sur la rémunération.
Femmes, IT et salaire
Une politique de rémunération claire avec des critères établis et favorisant une équité interne et externe reste toujours attendue dans de nombreuses organisations. Une piste notamment évoquée concernant l’écart salarial entre femmes et hommes serait la plus grande mobilité inter-organisation de ces derniers. Laquelle leur permettrait de négocier à chaque fois des augmentations.
De nombreuses autres recommandations sont à avancer. Il s’agit par exemple de la formalisation des processus de développement de carrière, la mise en avant de modèles féminins, la formation sur les biais, l’inclusion des femmes dans les différentes activités et sphères, la sensibilisation des cadres et dirigeants à la réalité des femmes dans l’organisation pour un engagement réel à l’équité…
Il semblerait que bien que le discours porté en TI soit celui de l’inclusion des femmes, les organisations ont des pratiques ne favorisant pas ces dernières. Les règles du jeu font qu’en pratique des sacrifices irréalistes seront exigés.
Derrière des volontés de changements forts louables, la réalité est plus contrastée. Les campagnes de sensibilisation ciblant seulement l’éducation, les rôles masculins et féminins ou encore l’égalité des chances dans l’emploi servent certes à combattre des stéréotypes et les obstacles à l’entrée des femmes dans les professions des TIC. Mais elles n’attirent pas l’attention sur les conditions d’emploi et sur ce que sont réellement ces métiers.
Par Valérie Dugimont
Consultante en recrutement, spécialisée IT